Sauter au contenu
Retour

Vingt fois je relus les dernières pages de Madame Bovary ; à la fin, j'en savais des paragraphes entiers par cœur sans que la conduite du pauvre veut me devint plus claire : il trouvait des lettres, était-ce une raison pour laisser pousser sa barbe ? Il jetait un regard sombre à Rodolphe, donc il lui gardait rancune - de quoi, au fait ? Et pourquoi lui disait-il « Je ne vous en veux pas » ? Pourquoi Rodolphe le trouvait-il « comique et un peu vil » ? Ensuite Charles Bovary mourait : de chagrin ? de maladie ? Et pourquoi le docteur l'ouvrait-il puisque tout était fini ? J'aimais cette résistance coriace dont je ne venais jamais à bout; mystifié, fourbu, je goûtais l’ambiguë volupté de comprendre sans comprendre : c'était l'épaisseur du monde [...]. Des noms vertigineux conditionnaient mes humeurs, me plongeaient dans des terreurs ou des mélancolies dont les raisons m'échappaient.

Jean-Paul Sartre



Previous Post
Je me sentais responsable de la beauté du monde.
Next Post
Ce que la littérature jeunesse nous fait oublier : c’est bien de lire des livres trop grands pour soi [...], des livres qui vous transcendent, des livres qui vous dépassent.